Regarder l’histoire en face

C’est sous le ciel bleu-gris de La Haye que se sont réunies 700 personnes pour assister le 10 novembre dernier au concert de Nneka intitulé « Standing Before History » en hommage à l’activiste et artiste nigérian Ken Saro Wiwa, exécuté il y a 15 ans à Port Harcourt.

Originaire du delta du Niger, l’auteur à succès Ken Saro Wiwa n’a jamais oublié ses racines Ogoni. C’est pour défendre l’exploitation des siens et la destruction de la nature par la société pétrolière Royal Dutch Shell qu’il s’est engagé dans une lutte passionnée pour le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes.

Après avoir fait le tour du monde pour parler de la situation des Ogoni (notamment en tant que vice-président de l’UNPO), le fondateur du MOSOP (Mouvement pour la survie du peuple Ogoni) est arrêté et condamné à mort par les autorités nigérianes avec huit de ses compagnons. La mobilisation d’Amnesty International, de personnalités politiques du monde entier ainsi que du public (Ken Saro Wiwa était le scénariste de Basye & Co., soap opera satyrique le plus regardé d’Afrique) n’y feront rien.

En mai 1995, quelques mois avant son exécution, lucide sur son avenir, il écrivait une lettre, comme une bouteille lancée à la mer, adressée aux Ogonis, aux Nigérians, aux citoyens du monde :

 » Lorsque, après avoir écrit pendant des années, j’ai décidé de mobiliser le peuple Ogoni par le message dans la rue, et permettre à ce peuple de protester contre la dévastation de l’environnement par Shell, la deshumanisation de l’environnement par les dictateurs Nigérians, je n’avais aucun doute où cela pouvait se terminer. Cette connaissance m’a donné la force, le courage, la réjouissance et un avantage psychologique sur mes bourreaux. […]

Vivre ou mourir est immatériel. C’est un comble pour moi de savoir qu’il y a des gens qui sacrifient du temps, de l’argent et de l’énergie pour lutter contre ce mal parmi tant d’autres à travers le monde. S’ils ne réussissent pas aujourd’hui, ils réussiront demain. Nous devons continuer à nous battre pour un monde meilleur pour tous les hommes – chacun contribuant un tout petit peu à sa manière. Je vous salue tous. « 

15  ans après sa mort, malgré sa médiatisation et quasi-béatification posthume, le combat n’est toujours pas gagné. Des activistes attisent la flamme et poursuivent la lutte. L’indemnisation obtenue l’an dernier par les Ogonis suite à l’action intentée contre Shell a marqué une étape décisive de ce combat que  Ken Saro Wiwa a toujours voulu non-violent. Plaçant au coeur de son discours l’humour, l’amour de la vie et de son prochain, son souvenir nous rappelle que le combat pour les droits de l’homme est avant tout un travail de longue haleine pour faire évoluer les esprits et toucher les âmes.

J’ai mes identités qui me démangent

Petite contribution au débat sur l’identité nationale publiée par Respect Magazine:

« Qu’est-ce qu’être français ? » demande le ministre de l’Immigration. Et toi, l’identité nationale, ça t’évoque quoi ? Ce débat, il t’inspire quoi ? Régulièrement, de nouveaux témoignages ! Cette semaine, celui de Keyvan Sayar, jeune auteur franco-iranien.

http://www.respectmag.com/node/2240

La fin du Secrétariat d’Etat aux droits de l’Homme

L’Elysée a annoncé aujourd’hui la composition du nouveau gouvernement Fillon. Dans la nouvelle équipe ne figure plus de Secrétaire d’Etat aux droits de l’Homme. Nicolas Sarkozy, qui avait promis en tant que candidat d’être le « président des droits de l’Homme« , avait créé ce poste au Quai d’Orsay à la demande de Bernard Kouchner et confié la tâche à la jeune Rama Yade. Un véritable challenge puisqu’il s’agissait pour elle non seulement de travailler sous la tutelle d’un ex-socialiste mais aussi de faire vivre un thème qui ne collait pas toujours avec les intérêts diplomatiques de la France. Rama Yade s’est pourtant appliquée à ne pas rester silencieuse même quand le président lui demandait de se taire. Ainsi quand Muammar Khadafi était reçu en grande pompe à l’Elysée, Mme Yade déclarait à la presse que la France n’était pas un paillasson sur laquelle des dictateurs pouvaient venir s’essuyer les pieds. Plus tard, sur nombre d’autres dossiers elle a également pris parole (à défaut de faire davantage). Rama Yade écrivit un livre (Les droits de l’Homme expliqués aux enfants de 7 à 77 ans), déclina la proposition de place éligible aux européennes (en indiquant que l’Europe n’était « pas [son] truc » et qu’elle avait encore plein de choses à faire sur les droits de l’Homme). Seulement voila, le président Sarkozy qui voulait transformer le ministère des affaires étrangères en un « ministère de la mondialisation« , faire de la France une force motrice pour la promotion des droits humains dans le monde a mis de l’eau dans son vin et a décidé d’éliminer ce portefeuille devenu gênant. Rama Yade, elle, a été reléguée promue aux sports, comme si l’important n’était après tout pas tant son expertise ou son engagement mais ses qualités de gestionnaire/représentante/femme politique populaire.

Rama Yade
Rama Yade

Certes ce poste n’était vraiment pas facile à occuper, certes il nous mettait face à nos contradictions (d’un côté nos principes, de l’autre les concessions que nous faisions), certes sans réels moyens ce poste était juste un symbole… seulement le supprimer revient également à abandonner cette promesse de campagne qui a tenu à coeur à beaucoup de Français: que le pays autoproclamé « des droits de l’Homme » oeuvre à les promouvoir davantage dans ses relations avec le reste du monde (cf. Nicolas Sarkozy en campagne: « Je ne passerai jamais sous silence les atteintes aux droits de l’homme au nom de nos intérêts économiques. Je défendrai les droits de l’homme partout où ils sont méconnus ou menacés et je les mettrai au service de la défense des droits des femmes« ).

A chacun de juger le travail effectué par Mme Yade. Il n’en reste pas moins que mettre le secrétariat d’Etat aux droits de l’Homme à la poubelle après seulement deux ans d’existence est un triste aveu d’échec.

Indigestion électronique

Des soldats israéliens reçoivent une boîte de gâteaux envoyés par Gilis Goodies
Des soldats israéliens reçoivent une boîte de gâteaux envoyés par Gili's Goodies et pendant ce temps à Gaza les civils palestiniens attendent toujours l'aide humanitaire...

Qu’elle soit ou non d’accord avec la guerre, on ne peut pas reprocher à une mère de se faire un sang d’encre pour son enfant envoyé au front… c’est ce que je me suis dit en voyant ces campagnes de soutien aux troupes lancées par le pâtissier israélien Gili’s Goodies pendant l’offensive à Gaza. C’était cependant pour moi d’une grande violence d’imaginer que je pouvais en quelques clics envoyer gratuitement un message de soutien et un paquet de gâteaux à des soldats israéliens pendant que la Croix Rouge devait faire des pieds et des mains pour obtenir de Tsahal la permission d’apporter quelques vivres et médicaments aux habitants de la bande de Gaza.

Cette opération de publicité-solidarité nationaliste, je ne l’ai pas découverte en surfant sur des sites d’extrême droite mais sur la première page du célèbre quotidien « de gauche » Haaretz (je mets des guillements parce que « de gauche » veut dire quelque chose de différent dans chaque contexte politique). Il s’agissait d’une publicité pour l’opération « send a soldier a smile » menée par Gili’s Goodies et Honest Reporting. Intrigué, j’ai immédiatement suivi le lien.

Pâtisserie cacher vendant ses produits à travers le monde entier, Gili’s Goodies propose aussi à ses clients d’envoyer des paniers de gâteaux aux israéliens démunis et aux familles de Sdérot (ville israélienne proche de Gaza où ont été envoyées des roquettes). Dans le cadre de l’opération « send a soldier a smile« , ils s’engagent à envoyer des gâteaux gratuitement en accompagnement des messages.

Sorte de lobby/agence de presse, Honest Reporting est un organisme dédié à promouvoir une autre image d’Israel dans les médias. Pour ce faire, l’organisme envoie des pétitions aux grands médias du monde et propose chaque jour une sorte de « contre-journal » relatant « honnêtement » l’actualité du pays. Un organisme qui – et ceci est un euphémisme – n’est vraiment pas très critique de la politique d’Israël (comme l’illustre par exemple ce petit reportage sur l’intervention militaire à Gaza qui montre essentiellement des civils israéliens en larmes).

Moi qui aime beaucoup les gâteaux, j’ai eu comme une indigestion électronique en surfant sur ces pages.