Entendu au fiEstival #5 (fiestival.net) – Avec ma chevelure ondulante, Andy Smierens

avec ma chevelure ondulante
j’attends quai sept
un train qui n’arrive pas

quelqu’un me demande « qu’avez-vous en main? »
je dis: « c’est le nez de pinocchio
j’en ai besoin pour un bon équilibre »

j’avais une femme, elle accoucha de dîners chauds
mais sur le champ céleste de l’amour
elle portait des sous-vêtements kaki
lorsqu’elle me présenta à ses parents
elle nous laissa seuls pendant des heures

j’avais alors des pensées qui ne font pas avancer les choses
exemple: il y a trop de chrétiens sur terre
et pas assez de lions
ou: dans la lumière du soleil couchant
ma poupée gonflable a la couleur de mon bourgmestre

je recycle les lettres d’adieu en signets
et pour prouver que j’ai du caractère
je me gargarise des heures au bon whisky
puis recrache le tout dans la bouteille

au plus profond de la nuit
je suis au bord de l’escaut et crie : « nichooons ! »
puis, pour briser la tension
« moonboooots ! »

de retour à la maison je me mets devant la glace
et dis cinquante fois tout haut
« toi t’es ok, non sérieux, toi t’es vraiment ok »

je connais un homme, il n’a plus rien d’autre
que des voix dans sa tête
hier était un bon jour, ils étaient à trois

Andy Fierens, trad. Antoine Boute, extrait de « Gros papillon dégueulasse », Ed. MaelstrÖm réévolution (www.maelstromreevolution.org)

Lu sur un coin de chaise – Peu de gens ont le dégoût des raisins secs, Andy Fierens

peu de gens ont le dégoût des raisins secs
mais cela ne les
rend pas
particuliers

toi non plus tu ne mérites pas de prix
parce que tes parents ont merdé avec les gènes

même si tu te sens bien dans ta petite peau
même si tu dis
« PAN »
et que tout le monde tombe par terre

l’un ne te donne pas d’eau, alors que tes cheveux brûlent
un autre alluma tes cheveux
lorsqu’il sut que personne ne viendrait les éteindre

quelqu’un jette un bâton
et le chien revient avec toi

le jour où tu prias dieu
il quitta le monde
par le trou dans la couche d’ozone
après tu marias la vendeuse de manteaux de cheminées
depuis qu’elle a perdu la tête elle a des douleurs fantômes

j’ai résumé ta vie dans un mauvais poème
que j’arrive à vraiment bien faire passer en public


Peu de gens ont le dégoût des raisins secs, Andy Fierens, trad. Antoine Boute, Bookleg « Gros papillon dégueulasse », Ed. MaelstrÖm réévolution (www.maelstromreevolution.org)

Regarder l’histoire en face

C’est sous le ciel bleu-gris de La Haye que se sont réunies 700 personnes pour assister le 10 novembre dernier au concert de Nneka intitulé « Standing Before History » en hommage à l’activiste et artiste nigérian Ken Saro Wiwa, exécuté il y a 15 ans à Port Harcourt.

Originaire du delta du Niger, l’auteur à succès Ken Saro Wiwa n’a jamais oublié ses racines Ogoni. C’est pour défendre l’exploitation des siens et la destruction de la nature par la société pétrolière Royal Dutch Shell qu’il s’est engagé dans une lutte passionnée pour le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes.

Après avoir fait le tour du monde pour parler de la situation des Ogoni (notamment en tant que vice-président de l’UNPO), le fondateur du MOSOP (Mouvement pour la survie du peuple Ogoni) est arrêté et condamné à mort par les autorités nigérianes avec huit de ses compagnons. La mobilisation d’Amnesty International, de personnalités politiques du monde entier ainsi que du public (Ken Saro Wiwa était le scénariste de Basye & Co., soap opera satyrique le plus regardé d’Afrique) n’y feront rien.

En mai 1995, quelques mois avant son exécution, lucide sur son avenir, il écrivait une lettre, comme une bouteille lancée à la mer, adressée aux Ogonis, aux Nigérians, aux citoyens du monde :

 » Lorsque, après avoir écrit pendant des années, j’ai décidé de mobiliser le peuple Ogoni par le message dans la rue, et permettre à ce peuple de protester contre la dévastation de l’environnement par Shell, la deshumanisation de l’environnement par les dictateurs Nigérians, je n’avais aucun doute où cela pouvait se terminer. Cette connaissance m’a donné la force, le courage, la réjouissance et un avantage psychologique sur mes bourreaux. […]

Vivre ou mourir est immatériel. C’est un comble pour moi de savoir qu’il y a des gens qui sacrifient du temps, de l’argent et de l’énergie pour lutter contre ce mal parmi tant d’autres à travers le monde. S’ils ne réussissent pas aujourd’hui, ils réussiront demain. Nous devons continuer à nous battre pour un monde meilleur pour tous les hommes – chacun contribuant un tout petit peu à sa manière. Je vous salue tous. « 

15  ans après sa mort, malgré sa médiatisation et quasi-béatification posthume, le combat n’est toujours pas gagné. Des activistes attisent la flamme et poursuivent la lutte. L’indemnisation obtenue l’an dernier par les Ogonis suite à l’action intentée contre Shell a marqué une étape décisive de ce combat que  Ken Saro Wiwa a toujours voulu non-violent. Plaçant au coeur de son discours l’humour, l’amour de la vie et de son prochain, son souvenir nous rappelle que le combat pour les droits de l’homme est avant tout un travail de longue haleine pour faire évoluer les esprits et toucher les âmes.

Blog2Bar – Soleil de bière sur une plage de pinottes, Scheveningen (29 avril 2010)

Le disque rayé bégayait dans les hauts parleurs et une maman remontée demandait à sa descendance aux courtes culottes d’avoir l’obligeance d’exister en silence. « La vie est déjà assez dure comme ça, mince ! » soupirait-elle en replongeant le nez dans son cocktail multicolore. Toute la ville était là, serrée sur la plage dorée de Scheveningen en cette veille de fête nationale. « Tu sais ce qu’on célèbre demain Rouki ? » demandait un marin moustachu à son fox-terrier en lui tenant la patte. «  La Reine, Rouki, on fête la dame à la couronne. Je t’ai montré sa photo tout à l’heure, tu te souviens ? – Wouf ! » répondit le cabot en remuant la queue. Un ado tendeur d’oreille ricanait à la table d’à côté puis se remit les doigts dans le nez en fredonnant « Aan de Kust ».

La serveuse passait de table en table pour remplir les lampes d’alcool avec un jerrycan rose. « J’ai soif ! » cria un mari desséché au front rouge.

«  Je peux pas tout faire à la fois monsieur, vous croyez que ces lampes vont se remplir toutes seules ?

– J’en ai rien à faire de tes lampes, il est deux heures de l’aprem cocotte et il fait soif !

– Faut vous adresser à Ary, monsieur, c’est lui le patron, c’est lui qui décide. Depuis que sa mère lui a offert ce bouquin sur le management il arrête pas de nous faire faire toutes les tâches dans le désordre. Il dit que ça nous fait des gains de productivité et que ça perturbe la concurrence parce qu’on devient imprévisibles. C’est un peu comme les ninjas, ils mettent une cagoule comme ça on peut pas savoir ce qu’ils pensent, vous voyez c’que j’veux dire ?

– J’ai soif bordel !!!

– Allons monsieur, c’est pas la peine de jurer, il y a des enfants ici quand même ! Qu’est-ce que j’vous sers ?

– De la bière Frauke, beaucoup de bière !

– Comment vous savez que je m’appelle Frauke ?

– J’suis médium chérie, mais là tu vois, j’suis pas vraiment d’humeur à causer, j’ai besoin d’un glouglou avec des glaçons, tu piges ? ».

La fête de plage battait son plein. Trois papas bedonnants gratifiaient l’assistance d’une danse du ventre torride au son d’Independent Women des Destiny’s Child. Rouki faisait de l’œil à une grand-mère dégustatrice dans l’espoir d’obtenir d’elle une brochette de poulet saté. Mamie si tu me donnes ta barbak, tu feras de moi l’animal le plus heureux de la terre. Mamie, toi et moi on a beaucoup de choses à vivre ensemble, rapproche toi un peu et amène ton assiette.

Rouki, son maître et moi-même aimions profondément les cacahuètes. Croquer une poignée de pinottes était un plaisir que nous nous refusions rarement, alors en écraser des milliers pour en extraire l’intime substance et y tremper la patte grillée de quelque animal plumesque était évidemment pour nous une perspective enivrante. Avec le saté, l’Indonésie offrait au monde le plus troublant de nos fantasmes. Rouki, son marin et moi avions les yeux fixés sur mère-grand qui ôtait d’une main experte les grillades de la broche. Allait-elle céder à ses pulsions égoïstes ou se laisserait-elle séduire par l’idée d’un plaisir partagé, d’une chair croquée simultanément, quatre bouches qui n’en font plus qu’une ?

La serveuse m’apporta une bière en disant quatre cinquante. Je la regardai en coin, elle me glissa une note. Elle allait soulager ma poche de ses dernières pièces, dépourvoir mon destin d’amitiés métalliques, soudain dans cet abîme de détresse absolue, dans cette prison de sable où le désespoir tue, à travers la cervoise lumineuse je l’ai vue. Une coupelle apportée par la sainte providence, une corne d’abondance remplie jusqu’à l’ivresse d’arachides salées et d’amandes un peu rances. Un soleil de bière sur une plage de pinottes. Un océan d’amour sur une terre de désirs. La bière pétillait fort, le chien devenait loup, le marin décoiffé naviguait sur sa chaise et j’avais dans le cœur toute la musique du monde. Rouki avait gagné mais cela ne comptait plus. Ronge ma petite bête, ronge ton os de brochette, chante mon petit cœur, chante l’amour de la vie. Le soleil est luisant, la plage fait envie, dans ma main la bière brille, dans ma bouche les pinottes crépitent avec le jour, étincellent dans la nuit, c’est en buvant la lie que ce chant nous unit.